30 septembre 2009
Pour Lenardo
Boff, un système basé sur une croissance indéfinie n'est pas vivable dans la durée. Attention à la
tendance suicidaire de la culture du capital : ce dernier préfère mourir que changer, entraînant
d'autres avec lui...
"On n’a jamais parlé autant qu’aujourd’hui, dans tous les
pays et forums, de développement-croissance. C'est une obsession qui nous accompagne depuis au
moins trois siècles. Maintenant que s'est produit l'effondrement économique, l'idée est revenue
avec une vigueur renouvelée -parce que la logique du système ne permet pas d'abandonner cette
idée-matrice sans s'autodétruire. Malheur aux économies qui ne parviennent pas à restaurer leurs
niveaux de développement-croissance ! Elles vont succomber, et cela sera éventuellement accompagné
d'une tragédie écologique et humanitaire.
Mais nous devons le dire bien clairement :
reprendre cette idée est un piège dans lequel tombe la majorité, y compris Benoît XVI dans sa
récente encyclique Caritas in veritate consacrée au développement. Cela peut se vérifier presque de
manière unanime dans les discours des représentants des 192 peuples présents à la réunion de l'ONU,
fin juin. La grande exception, qui a suscité l'étonnement, a été le discours d’ouverture et de
clôture du président de l'Assemblée Générale Miguel d'Escoto, qui a pensé plus avant à la logique
d'un autre paradigme de relation Terre-Vie-Humanité, subordonnant le développement au service de
ces réalités centrales. Pour le reste, on n'entendait pas autre chose : il faut reprendre le
développement-croissance, sinon la crise va s'éterniser.
Pourquoi dis-je que c'est un
piège ? Parce que pour atteindre les taux minimaux prévus de développement-croissance de 2% par an,
nous aurions besoin d'ici peu de deux Terres égales à celle que nous avons. Ce n'est pas moi qui le
dis, c'est l'ex-président français Jacques Chirac qui l'a exprimé lorsque le GIEC[1] a publié, le 2
février 2007 à Paris, le rapport sur le réchauffement global. Entre autres Edgard Wilson, le
célèbre biologiste, et James Lovelock, l'auteur de la théorie de la Terre Gaï [2] le répètent
fréquemment. La Terre est en train de donner des signaux évidents de stress généralisé. Il y a des
limites qui ne peuvent être dépassées.
Le Secrétaire de l'ONU Ban-Ki-Moon a récemment
signalé aux peuples que nous avions seulement environ dix ans pour sauver la civilisation humaine
d'une catastrophe écologique planétaire. Dans un récent numéro de la revue Nature, un prestigieux
groupe de scientifiques a publié un rapport sur « Les limites de la planète » (planetary
boundaries) dans lequel ils affirment que nous sommes arrivés, dans plusieurs écosystèmes de la
Terre, au point de non-retour (tipping point) en ce qui concerne la désertification, la fonte des
calottes polaires et de l’Himalaya, et l'acidité croissante des océans. Il convient de citer ici, à
mon avis, l’étude la mieux fondée des auteurs du légendaire The Limits to Growth (trad.fr. Halte à
la croissance ? Rapport sur les limites de la croissance, Fayard, 1973) du Club de Rome en 1972 :
D. Meadows et J. Randers. Le titre de leur livre de 1992 donne un signal d'alarme : Beyond the
Limits. Confronting Global Collapse, Envisioning a Sustainable Future (non traduit en français).
La thèse de ces auteurs est que l'accélération excessive du développement-croissance des
dernières décennies, de la consommation et du gaspillage, nous ont fait connaître les limites
écologiques de la Terre. Il n'y a pas de technique ni de modèle économique qui garantisse la
durabilité du projet actuel. L'économiste Ignacy Sachs, un ami du Brésil, un des seuls qui
proposent un éco-socio-développement, commente : « On ne peut exclure l'idée que, par excès
d'application de rationalité partielle, nous terminions dans une ligne d'irrationalité globale
suicidaire » (« Forum », juin 2009 p.19). J'ai déjà affirmé dans cet espace que la culture du
capital a une tendance suicidaire. Il préfère mourir que changer, entraînant d'autres avec lui.
Les énonciateurs de la vision systémique appellent ce phénomène dépassement et
effondrement. C'est-à-dire que nous dépassons les limites et que nous nous dirigeons vers un
effondrement.
Serais-je pessimiste ? Je réponds avec José Saramago : « je ne suis pas
pessimiste, c’est la réalité qui est désastreuse ». Effectivement : ou nous quittons le bateau du
développement insoutenable en direction de ce que la Charte de la Terre appelle « un mode de vie
durable » -ce que les Andins appellent « le bien vivre »-, ou nous allons devoir accepter le risque
d'être écartés de cette planète.
Mais comme l'univers est fait de virtualités pas encore
tentées, espérons qu'en apparaitra une qui nous sauve tous."
[1] GIEC, Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat (en anglais: IPCC, Intergovernmental Panel on Climate
Change)
[2] L'hypothèse Gaïa, appelée également hypothèse biogéochimique, est une
hypothèse scientifique avancée par l'écologiste anglais James Lovelock en 1970 selon laquelle
l'ensemble des êtres vivants sur Terre serait comme un vaste organisme (appelé Gaïa du nom du Titan
de la mythologie grecque personnifiant la Terre) réalisant l'autorégulation de ses composants pour
favoriser la vie (wikipedia).
Lire le texte sous pdf