Dans une chronique publiée par bastamag, le 17 novembre 2016,
Jean-Marie Collin, membre de ICAN France,
fustige le refus de la France de s'associer aux efforts de 123 pays en faveur de l'interdiction
complète des armes nucléaires.
Photo : essai nucléaire en Polynésie française -
1970
Cela fait 71 ans que l’humanité vit avec la
capacité de détruire la planète par la pression d‘un simple bouton. Fin octobre, grâce à l’action
de la société civile et d’États courageux, l’Onu a franchi une étape historique vers la négociation
d’un traité d’interdiction complète de l’arme atomique, voté par 123 États. Malheureusement, sans
le soutien de la France, malgré les engagements de François Hollande en faveur de l’élimination
totale des armes nucléaires. Celles-ci « sont les dernières armes de destruction massive à ne pas
être soumises à une interdiction », rappelle Jean-Marie Collin, membre de la Campagne
internationale pour abolir les armes nucléaires :
"Les armes nucléaires sont
des armes dites de destruction massive. L’histoire de leur utilisation, au Japon en 1945, mais
aussi au fil de plus 2000 essais nucléaires à travers le monde, a montré leurs effets dévastateurs
immédiats et sur le long terme, tant sur les populations que sur l’environnement.
Nous
savons que même un conflit nucléaire limité engendrerait des conséquences mondiales sur les
productions alimentaires et le développement socio-économique. C’est en rappelant cette évidence
que la société civile, principalement regroupée au sein de la Campagne internationale pour abolir
les armes nucléaires (ICAN), est parvenue à mobiliser des États à travers le monde. Un grand nombre
de pays ont ainsi compris que leur sécurité économique, humanitaire, culturelle… était mise en
danger du fait de l’absence d’actions concrètes et réelles par les États détenteurs d’armes
atomiques.
Si le volume des armes nucléaires a bel et bien diminué depuis la fin de la
Guerre froide (de 70 000 ogives nucléaires à 15 000 en 2016), les puissances nucléaires
(États-Unis, Russie, Royaume Uni, France, Chine, Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord) se sont
toutes lancées dans de vastes programmes de modernisation de leurs arsenaux. À titre d’exemple, la
France a lancé des études pour renouveler ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ses
missiles balistiques, et a débuté l’augmentation annuelle de son budget “dissuasion” dans le but
d’arriver à un doublement – plus de 6 milliards d’euros – à l’horizon
2022.
123 États en faveur d’un traité
d’interdiction…
Devant cette lenteur et cette mauvaise volonté, des États comme
l’Autriche, le Mexique, le Costa Rica, la Malaisie, l’Afrique du Sud… accompagnés par ICAN, ont
développé une stratégie pour parvenir à changer les règles du jeu. Fini le temps où les détenteurs
d’armes atomiques maîtrisaient seuls le calendrier du désarmement nucléaire. Désormais, celui-ci
est dicté par la majorité des États et des populations.
Parvenir au désarmement nucléaire
est un processus long et complexe. Toute initiative allant dans ce sens est positive, comme les
négociations bilatérales américano-russes. Mais l’une d’elle n’a jamais encore été mise en œuvre,
celle qui mettrait en place une interdiction globale et complète des armes nucléaires. Interdire,
puis éliminer. C’est le processus qui a été suivi pour les armes biologiques (interdites par une
convention de 1972) et chimiques (convention de 1993). Le futur traité d’interdiction des armes
nucléaires est donc l’étape indispensable avant leur élimination. À ce jour, les armes atomiques
sont en effet les dernières armes de destruction massive à ne pas être soumises à une
interdiction.
Pendant près d’une année entière de débats pour faire avancer les
négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire à l’ONU, les puissances nucléaires ont
pratiqué le jeu de la chaise vide. Malgré tout, les discussions ont abouti le 27 octobre dernier au
vote de la résolution L41. Celle-ci demande que les Nations unies organisent en 2017 une conférence
pour négocier un instrument juridiquement contraignant interdisant les armes nucléaires, en vue de
leur élimination complète. C’est une première.
Malgré les pressions exercées à l’encontre
notamment d’États africains (par la France) et d’Amérique latine et du Pacifique (par les
États-Unis) pour qu’ils ne votent pas cette résolution, et en dépit de l’utilisation d’arguments
sans fondement (selon lesquels ce traité pourrait remettre en cause le régime actuel de
non-prolifération), le résultat du vote à l’ONU a été sans appel. Les trois-quarts des États de la
planète (123 exactement) ont voté « oui » devant un refus de seulement 38 États (des puissances
nucléaires et des États qui bénéficient d’une dissuasion élargie) et de 16 abstentionnistes, parmi
lesquels se trouvent les Pays-Bas. Le premier pas pour l’interdiction est donc franchi. Rendez-vous
est donné pour mars 2017.
…Mais la France s’y est
opposée
Parmi les États qui ont voté non, on trouve la France. Dans son
discours, le représentant français a affirmé que Paris était pour un monde sans armes nucléaires.
Dans les faits, il en est autrement. La France s’est farouchement opposée à cette résolution,
prétextant qu’un tel traité serait « inefficace et déstabilisateur » et qu’il valait mieux suivre
la politique mise en œuvre depuis plus de 20 ans… Nous en voyons les résultats puisque la
Conférence du désarmement, organe central de l’ONU censé travailler sur ce sujet, est en état de
mort cérébrale depuis 1996. Par ailleurs, le ministère des Affaires étrangères français est allé
jusqu’à faire pression sur les eurodéputés français afin qu’ils votent « non » à une résolution de
soutien au processus de l’ONU proposée au Parlement européen !
Cette posture va à
l’encontre du discours sur la dissuasion que le François Hollande a tenu en avril 2015. Celui-ci
appelait alors de ses vœux la naissance d’un contexte stratégique qui permettrait à terme
l’élimination totale des armes nucléaires.
La France peut et doit se rattraper. En
décembre prochain, un vote de confirmation de cette résolution se déroulera à l’Assemblée générale
de l’ONU. Pour que la France ne vote pas contre cette résolution en faveur de la paix et de la
sécurité mondiale et qu’elle adopte une posture qui corresponde à son image de pays de la défense
des libertés et des droits humains, les organisations Initiatives pour le désarmement nucléaire
(IDN) et ICAN France ont lancé une pétition adressée au président de la République.
À
l’heure des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, un conflit marqué par
l’usage massif de gaz chimiques aujourd’hui interdits, il serait des plus choquants que la France
vote une deuxième fois contre cette résolution de l’ONU qui vise pourtant à interdire des armes de
destruction massive."